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Guinée : le référendum de Doumbouya, qui change tout… ou rien ? 

21 septembre 2025
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Guinée : le référendum de Doumbouya, qui change tout… ou rien ? 

Ce 21 septembre 2025, près de 6,8 millions de Guinéens sont appelés à voter une nouvelle Constitution. Quatre ans après le coup d’État ayant renversé Alpha Condé, le processus de retour d’un régime civil au pouvoir reste marqué par les ambiguïtés du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), la répression de l’opposition, des doutes sur la transparence et l’inclusivité du scrutin référendaire.

Début septembre 2021, Mamadi Doumbouya, alors colonel et commandant du Groupement des Forces Spéciales (GFS) de l’armée guinéenne, renverse Alpha Condé.  Arrivé au pouvoir en 2010 pour un premier mandat de cinq ans, puis réélu en 2015 et en 2020 après une modification constitutionnelle contestée, les onze années de règne de l’ancien opposant historique s'achèvent brutalement.

La promesse non tenue

En octobre 2021, lors de sa prestation de serment, l’ancien légionnaire français à la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) s’était engagé à restaurer l’ordre constitutionnel promettant qu’« aucun membre (du CNRD) et des organes de la transition ne sera candidat aux élections à venir ».  Quatre ans plus tard, devenu général d’armée, le plus haut gradé des Forces de défense et de sécurité (FDS) guinéennes, Doumbouya s’apprête à soumettre à l’approbation du peuple un projet de nouvelle Constitution.

Cependant, ce projet de nouvelle loi fondamentale ne reprend pas l’interdiction faite aux membres du Comité national du rassemblement pour le développement et du gouvernement d’être candidats, disposition pourtant inscrite dans la Charte de la transition (articles 46, 55 et 65). Une omission volontaire, délibérée, nourrissant les rumeurs concernant une possible candidature du général Doumbouya à la future élection présidentielle. 

Dans son discours prononcé à la tribune des Nations-Unies, en septembre 2023, il avait dénoncé l'échec du modèle « démocratique occidental » imposé, selon ses mots, aux Africains après le Sommet de la Baule (France) en 1990. Depuis, il entretient un rapprochement préoccupant, aux yeux de certains Guinéens, avec le régime jugé autoritaire de Paul Kagamé, qui dirige d’une main de fer le Rwanda post-génocide de 1994.

Août 2022 : dissolution du Front national pour la défense de la Constitution

 En mai 2022, le nouveau régime militaire guinéen a annoncé l'interdiction des manifestations politiques de rue, deux jours après l'adoption par le Conseil national de la transition (CNT) - l’organe législatif de la transition - d'une prorogation de la durée de la transition (de trois ans supplémentaires). « Toutes manifestations sur la voie publique, de nature à compromettre la quiétude sociale et l'exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme sont interdites pour l'instant jusqu'aux périodes de campagne électorale », avait décidé  le CNRD dans un communiqué. 

 Cette décision avait été suivie d’un contexte tendu. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), coalition de partis politiques, de syndicats et d’organisations de la société civile, avait organisé en effet - les 28 et 29 juillet de la même année - des manifestations qui avaient été interdites par les autorités en place. Au cours de ces contestations, on a enregistré au moins quatre personnes tuées et plusieurs blessés, d’après un communiqué de l’organisation engagée pour la défense de la loi fondamentale en Guinée. 

Le 8 août 2022, le régime a finalement décidé de dissoudre le FNDC. L'annonce de cette dissolution avait fuité sur les réseaux sociaux à la suite d’un nouvel appel à manifester du FNDC (devant se tenir le 17 août) avant d’être officialisée par un arrêté ministériel signé par Mory Condé, alors ministre de l'Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD), aujourd’hui à la tête du département en charge de l'Urbanisme, de l'Habitat et de l'Aménagement du Territoire et chargé de la Récupération des domaines spoliés de l’Etat.

Pour Human Rights Watch, organisation internationale de défense des droits humains, cette décision du ministre Mory Condé remettait sérieusement en cause le retour du pays à un véritable processus  démocratique.

 Avril 2022 : la feuille de route de la transition dévoilée 

 Le 15 avril 2022, les travaux du cadre de dialogue inclusif sont lancés par le président de la transition au Palais Mohammed V, où il a élu domicile pour son régime. Le ministre de l'Administration du Territoire et de la Décentralisation à l’époque, Mory Condé, a alors dévoilé les dix étapes devant conduire au retour à l'ordre constitutionnel pour un coût global estimé à 600 millions de dollars américains (509 millions d'euros). Il y a annoncé :   

1.    Le recensement général de la population et de l’habitat ;

2.    Le recensement administratif à vocation d'état civil ;

3.    L’établissement du fichier électoral ;

4.    L’élaboration de la nouvelle Constitution ;

5.    L’organisation du scrutin référendaire ;

6.    L’élaboration des textes de lois organiques ;

7.    L’organisation des élections locales ;

8.    L’organisation des élections législatives ;

9.    La mise en place des institutions nationales issues de la nouvelle Constitution ;

10.  L’organisation de l'élection présidentielle.

2023-2024 : opposition muselée, médias bâillonnés et Internet restreint

 Depuis mai 2022, toute manifestation politique demeure interdite sauf celle qui promeut les « acquis du CNRD » dans le cadre de la Refondation. La dissolution du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) et les suspensions en cascade de partis politiques traduisent la volonté du CNRD de resserrer son emprise sur l’espace civique.

En mai 2023, des sévères coupures d'Internet surviennent en plein mouvement de contestation populaire. Fin novembre 2023, de nouvelles restrictions d'accès à Internet persistent, nuisant aux activités économiques. Parallèlement, des militants pro-démocratie sont arrêtés et placés en détention arbitraire. Le régime militaire est accusé de graves violations des droits humains, allant des disparitions forcées - dont les emblématiques sont Oumar Sylla alias Foniké Mengué et Mamadou Billo Bah - aux exécutions extrajudiciaires. Les principaux leaders de l’opposition et de la société civile ont dû se résoudre à l’exil. 

Le 21 mai 2024, un arrêté signé par le ministre de l'Information et de la Communication, Fana Soumah, ordonne sans aucune raison légale le retrait des agréments d'exploitation de plusieurs médias locaux à audience considérable (Djoma TV, Djoma FM, Espace FM, Espace TV, Sweet FM et FIM FM). Depuis fin novembre 2023, les signaux de plusieurs radios étaient déjà brouillés.

Cette répression s'accompagne d'une pression croissante sur les journalistes. L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a recensé la perte de plus de 700 emplois dans le secteur des médias en Guinée. Un cas est devenu emblématique : Habib Marouane Camara, journaliste et analyste politique, a été enlevé en décembre 2024 par des hommes armés décrits comme des gendarmes par plusieurs témoins de la scène. Il est toujours porté disparu.

2024-2025 : l'évaluation controversée des partis politiques

 Le régime de l’ancien légionnaire français a lancé une première évaluation des partis politiques en 2023, puis une seconde à peine un an plus tard. Sur les 187 formations que compte le pays, seules quatre avaient refusé de recevoir les équipes du ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, lors de la première évaluation.

 Le 28 octobre 2024, le département ministériel susmentionné a annoncé la dissolution de 53 partis et la suspension de 54 autres pour « non-respect » des conditions de constitution d'un parti politique. En mars 2025, lors d'un atelier de restitution, 28 partis sont suspendus et 27 autres dissous. 

Fin août 2025, nouveau coup de théâtre : trois des principaux partis politiques du pays sont suspendus pour 90 jours (trois mois) à quelques jours du début de la campagne référendaire. Il s'agit de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de l'ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) de l'ex-président déchu Alpha Condé, et du Parti pour le renouveau et le progrès (PRP) de Rafiou Sow. De son côté, la Commission africaine des droits de l’homme a alerté sur des mesures « de nature à enfreindre la liberté d’expression, d’association et de réunion. »

2025 : le recensement biométrique controversé en prélude au référendum 

Pour préparer la grand-messe référendaire, les autorités ont choisi de repartir de zéro en abandonnant le fichier de la défunte Commission électorale nationale indépendante (Céni), remplacée en juin dernier par la Direction générale des élections (DGE) dont les membres sont nommés par décret présidentiel.

En avril 2025, le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a lancé un recensement biométrique via le Programme national de recensement administratif à vocation d’état civil (PN-RAVEC). 

Malgré l’arrivée de 6 000 kits d’enrôlement, le processus a été entaché de dysfonctionnements : pannes d’équipements, batteries défectueuses, retards de paiement des agents, etc. Certains superviseurs ont même saisi l’Inspection guinéenne du travail pour dénoncer la société prestataire, Digitalis, accusée de ne pas honorer ses engagements.
Le 28 août 2025, la Direction générale des élections (DGE) a publié les chiffres définitifs : la Guinée compte 6 millions 768 458 électeurs inscrits, dont 3 millions 493 251 femmes (52,26%) contre 3 millions 149 254 hommes (47,74%). 
Conakry, la capitale, arrive en première position avec 1 million 543 022 électeurs, suivie de près par Kankan (Est), la région d’origine de Doumbouya, avec 1 million 522 956 inscrits. La diaspora guinéenne représente, quant à elle, 125 271 électeurs. Selon le Premier ministre Bah Oury, nommé en février 2024, « le potentiel fichier électoral dépasse nettement les précédents fichiers en termes de population ».

Juin 2025 : une nouvelle architecture électorale mise en place 

Au début de la transition, sous pression de la communauté internationale, le CNRD avait dû composer avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui exigeait un calendrier de transition acceptable. En avril 2022, les « dix étapes » avaient été définies, allant du recensement à la Présidentielle. Mais la chronologie a été plusieurs fois modifiée, accentuant les suspicions.  
Le 14 juin 2025, le président de la transition a créé - par décret - la Direction générale des élections (DGE), une structure placée sous tutelle du ministère de l'Administration du territoire. La décision de création de cette DGE marque une rupture avec le passé : les scrutins de fin de transition ne seront plus organisés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni), comme cela était le cas depuis 2010. Dotée d'une autonomie financière, la DGE a pour mission de piloter l'ensemble du processus électoral.
L'ancienne dirigeante de la Céni (dissoute), Djenabou Touré, a été nommée (le 22 juillet) à la tête de la nouvelle DGE créée, en qualité de Directrice générale des élections et en ayant comme adjoint Georges Abraham Sory, présenté dans son décret de nomination comme expert en logistique électorale. Cette décision est « dangereuse pour la transparence », juge l’opposition qui dénonce ainsi une mise sous contrôle du processus.

Septembre 2025 : une campagne référendaire à sens unique et sous tension 

Initialement prévue le 24 août, l’ouverture de la campagne a été repoussée au 31 août pour une durée de trois semaines. Le gouvernement promet « un scrutin transparent et équitable », assurant que « le choix du peuple, qu’il soit pour le OUI ou pour le NON, sera respecté »

Mais le 10 août, les Forces vives de Guinée (FVG) - regroupant les anciens Premiers ministres Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ainsi que l'ancien président Alpha Condé, le FNDC et d’autres acteurs - ont appelé à des manifestations à partir du 5 septembre 2025 pour protester contre la volonté présumée du CNRD de confisquer le pouvoir. Ils dénoncent « un processus clivant et répressif » et accusent le chef du régime de « haute trahison », s’il venait à se présenter à la Présidentielle prochaine 

De son côté, Boubacar Yacine Diallo, le président de la Haute autorité de la communication (Hac, l’organe de régulation des médias en Guinée), a interdit à la presse de « donner la parole aux partis politiques et structures en conflit avec la loi », faisant référence aux formations politiques suspendues et au Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) dissout. Cette mesure prive une partie importante de l’opposition au tombeur d’Alpha Condé de toute tribune médiatique durant la campagne référendaire.

Le Forum des forces sociales de Guinée (FFSG), coalition de quarante organisations de la société civile, réclame pour sa part le report du référendum, estimant le processus « mal préparé » et « clivant ». La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) exprime également ses inquiétudes face aux restrictions imposées.

21 septembre 2025 : un test grandeur nature sans véritable suspens

Dimanche 21 septembre, les électeurs guinéens devront se prononcer sur un texte présenté comme « fondateur d’une nouvelle ère » par Mamadi Doumbouya, le colonel putschiste auto-promu général d’armée. Ses partisans vantent une Constitution qui « garantit les libertés fondamentales et modernise les institutions ». 

Quatre ans après le renversement d'Alpha Condé (2010-2021), ce scrutin référendaire se tient dans un contexte où l'opposition dénonce un processus verrouillé et où les dispositions de la nouvelle loi fondamentale pourraient ouvrir la voie à une candidature de l’ancien légionnaire français au prochain scrutin présidentiel guinéen.

La transition, qui devait s'achever en décembre 2024, s'est prolongée. Dans son adresse à la Nation du 31 décembre 2024, le président de la transition s'était engagé à faire de 2025 « une année électorale pour parachever le retour à l'ordre constitutionnel ».  Alors que la République de Guinée s'apprête à tourner une page de son Histoire, les interrogations demeurent pourtant nombreuses sur la sincérité démocratique du processus en cours et les véritables intentions du chef de l’Etat en treillis - qui dirige d’une main de fer depuis quatre ans ce pays d’Afrique de l’Ouest.

Tout considéré, le vote référendaire du 21 septembre permettra certainement la fin de la transition restée longtemps indéfinie et le retour à l'ordre constitutionnel, mais pas celui de la démocratie et des civils au pouvoir, estiment plusieurs observateurs de la scène politique guinéenne.




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