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Cameroun : à 92 ans, Paul Biya est toujours sur la piste de danse

6 octobre 2025
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Cameroun : à 92 ans, Paul Biya est toujours sur la piste de danse

Les Camerounais se rendront aux urnes le 12 octobre 2025 dans l'espoir, pour certains, d'une rupture avec le passé troublé du pays. Certains pensent que le président Paul Biya (92 ans) pourrait se retirer pour permettre une transition.

Par David E Kiwuwa, professeur associé de relations internationales - University of Nottingham

Il y a trois ans, je faisais partie de ceux qui se montraient optimistes quant aux élections de 2025. Mais je me suis trompé. Paul Biya est prêt à se présenter pour un huitième mandat consécutif. Il est d'ores et déjà l'un des présidents africains ayant exercé le plus longtemps le pouvoir, derrière Teodoro Nguema de Guinée équatoriale, en poste depuis 1979.

Paul Biya est ainsi sur le point d'atteindre la présidence à vie depuis son entrée en fonction en 1982. En juillet 2025, après des mois de spéculations, il a confirmé dans un tweet qu'il se présenterait à nouveau.

Après avoir survécu à des coups d'État, réduit au silence les dissidents, défié les rumeurs sur sa mort et survécu à des générations de challengers, il a rappelé à ses amis comme à ses ennemis qu'il restait au centre de la scène politique camerounaise.

Je suis depuis longtemps chercheur et analyste de la politique africaine, spécialisé dans la transformation des régimes, les transitions démocratiques et les questions de gouvernance au sens large. Compte tenu des développements régionaux qui ont vu l'armée destituer des dirigeants de longue date, on pourrait s'attendre à ce que Biya supervise une transition contrôlée. Une question se pose : qu'est-ce qui, dans la situation au Cameroun, continue de défier toute logique ?

Il existe une agitation et une frustration évidentes parmi les jeunes Camerounais, ainsi qu'une demande claire de changement. Pourtant, le président sortant reste au sommet, soutenu par le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, et maintient son contrôle quasi total de l'appareil politique de l'État.

En bref, le système a été conçu pour servir les intérêts de Biya. Avec le contrôle gouvernemental des médias, des ressources et des institutions judiciaires et électorales, il est peu probable que l'opposition puisse apporter un changement systémique.

Certaines choses ont toutefois changé au Cameroun. Les précédentes victoires de Biya ont été écrasantes, ne laissant aucune place au débat. Cette fois-ci, la situation pourrait être différente en raison des défections très médiatisées au sein de son parti. Ces hommes ont décidé de le défier dans les urnes.

Le terrain / la campagne électorale

Lors du dernier cycle électoral, Biya a fait face à des défis limités et à une opposition cooptée ou profondément divisée. Cette fois-ci, il doit compter avec une opposition relativement organisée.

Initialement, 83 candidats avaient manifesté leur volonté de concourir. En juillet, la commission électorale en a autorisé 13 à se présenter. La commission a disqualifié de manière controversée Maurice Kamto, un juriste renommé qui avait obtenu un résultat honorable lors du cycle électoral de 2018 avec 14 % des voix.

Human Rights Watch a alors averti que cette décision jetterait une ombre sur la crédibilité du processus électoral. Néanmoins, plusieurs personnalités crédibles de tous bords politiques restent en lice et proposent des alternatives politiques. Biya est notamment confronté à deux autres anciens alliés devenus adversaires politiques.

L'un d'eux est Issa Tchiroma Bakary, son ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle. Membre de longue date du régime, il a occupé divers postes ministériels et a longtemps été considéré comme un fidèle de Paul Biya. Mais en juin 2025, il a démissionné du gouvernement, se livrant à une critique cinglante du système qu'il représentait autrefois. Il a ensuite lancé sa campagne, se présentant sous la bannière du Front pour le salut national du Cameroun.

Par ailleurs, le ministre du Tourisme et des Loisirs, Bello Bouba Maigari, toujours officiellement en fonction, a déclaré en juillet 2025 son intention de se présenter contre son patron lors des élections de ce mois d'octobre.

Cette annonce a particulièrement frappé les esprits compte tenu de la longue histoire politique qui lie les deux hommes. Maigari n'est pas n'importe quel membre du cabinet. Il est un confident de longue date du président, ayant été nommé Premier ministre de Biya en 1982 et originaire de la région nord, riche en voix électorales. Sa décision de se lancer dans la course marque un changement de statut : il passe ainsi de fidèle lieutenant à challenger présidentiel, révélant au passage les fissures croissantes au sein de l'élite au pouvoir.

Parmi les autres candidats à noter, citons :

Akere Muna: ancien président de l'Assemblée nationale qui a fait prêter serment à Biya en 1982 et défenseur infatigable de la transparence et de la responsabilité politique. Il s'est présenté à la présidence en 2018 (mais s'est retiré à la dernière minute, cette année encore il a jeté l'éponge au profit de Bello Bouba Maigari).

Cabral Libii, du Parti camerounais pour la réconciliation nationale : un jeune leader dynamique qui s'est également présenté à l'élection présidentielle de 2018 et a recueilli 6 % des suffrages.

Joshua Osih : un politicien chevronné doté d'un solide bilan.

Les enjeux

Les problèmes urgents du pays restent les mêmes depuis de longues années. Il s'agit notamment :

  • De la corruption endémique. Le Cameroun est classé 140e sur 180 pays par Transparency International. Les raisons en sont la dégradation systémique des institutions publiques et la mauvaise gestion.

  • La stagnation économique, notamment un chômage persistant estimé officiellement à 7,34 % par Statista ; 23 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 3,3 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire.

  • La crise régionale anglophone qui oppose les régions anglophones au centre francophone dominant.

  • La capacité réelle de Paul Biya à gouverner et la question de sa succession, compte tenu de son âge très avancé et du vide ou des luttes intestines qui pourraient survenir s'il ne pouvait pas terminer son mandat.

La dimension externe

Les acteurs occidentaux ont été des critiques constants du régime de Biya ces dernières années. Cependant, certains ont adopté un ton plus prudent, arbitrant leurs critiques avec leurs intérêts stratégiques.

Les États-Unis, par exemple, ont suspendu une partie de leur aide militaire au Cameroun en 2019 en raison de violations des droits de l'homme. Mais ils poursuivent leur coopération dans la lutte contre le terrorisme contre Boko Haram.

L’Union européenne, tout en faisant pression pour un règlement pacifique du conflit anglophone, demeure un partenaire majeur du Cameroun, tant sur le plan commercial que de l’aide.

La Chine est devenue le premier créancier bilatéral et l'un des principaux partenaires commerciaux du Cameroun. Selon un rapport de Business in Cameroon, en 2024, le Cameroun devait environ 64,8 % de sa dette bilatérale extérieure à la Chine. Il s'agit principalement de prêts destinés à financer des projets d'infrastructures tels que le port en eau profonde de Kribi, l'autoroute Yaoundé-Douala et des centrales hydroélectriques.

Pour assurer la survie du régime, Paul Biya a mené une politique étrangère pragmatique. La position diplomatique de Pékin, fondée sur la non-ingérence et le respect de la souveraineté nationale, trouve un écho auprès des élites politiques camerounaises, méfiantes à l'égard de la surveillance et des critiques occidentales concernant le recul de la démocratie et le conflit anglophone.

Mais Paul Biya n'a pas rompu ses liens avec l'Occident. Par exemple, le gouvernement maintient des partenariats avec la France pour la formation en matière de sécurité, avec l'Allemagne pour la décentralisation et avec les États-Unis pour la lutte contre l'insurrection dans les zones anglophones.

Cet équilibre n'est pas simplement géopolitique. Il est également profondément ancré dans les réseaux de patronage nationaux. L'aide étrangère, les prêts et les investissements servent de ressources pour consolider le pouvoir de l'élite camerounaise, pour renforcer le système de patronage et réprimer la dissidence.

Les élections d'octobre ne manqueront pas de réaffirmer ce statu quo.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original

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