L’Union africaine a décidé d’appuyer la campagne « Correct The Map », qui vise à en finir avec l’usage du planisphère de Mercator, une représentation datant du XVIᵉ siècle, au profit de cartes plus fidèles à la réalité comme la projection Equal Earth. En cause : une Afrique artificiellement rétrécie, et avec elle une image tronquée de son importance.
Créée en 1569 par le cartographe Gérard Mercator, originaire de Flandre (dans l’actuelle Belgique), cette projection avait été pensée pour faciliter la navigation maritime. Mais elle déforme la taille des continents : l’Amérique du Nord, l’Europe ou le Groenland apparaissent surdimensionnés, tandis que l’Afrique et l’Amérique du Sud sont rapetissées. Une distorsion lourde de conséquences, selon Moky Makura, directrice exécutive de l’ONG Africa No Filter, basée à Johannesburg et spécialisée dans la transformation des récits sur le continent.
« La taille actuelle de l’Afrique sur les cartes est fausse. C’est la plus longue campagne de désinformation et de mésinformation du monde. Cela doit cesser », dénonce-t-elle. « Quand on traite un territoire comme plus petit qu’il n’est, les politiques, les investissements, tout est biaisé. Or l’Afrique est immense : elle compte six fuseaux horaires, et l’on pourrait y faire tenir trente pays, dont le Japon, l’Inde, la Chine, la France, l’Allemagne et l’Italie. »
Une bataille identitaire et politique pour corriger la carte de l'Afrique
Pour les militantes de Speak Up Africa, une organisation de plaidoyer basée à Dakar qui agit depuis 2011 sur des enjeux de santé publique, de développement durable et de participation citoyenne, l’enjeu dépasse la simple cartographie. « Réduire visuellement l’Afrique, c’est aussi réduire sa place perçue sur la scène internationale », insiste sa cofondatrice, Fara Ndiaye. L’ONG œuvre à introduire la projection Equal Earth dans les manuels scolaires africains et milite pour qu’elle devienne un standard adopté par les grandes institutions mondiales.
Développée en 2018 par trois chercheurs américains, Bojan Šavrič, Tom Patterson et Bernhard Jenny, la projection Equal Earth se veut une alternative moderne, conçue pour refléter au mieux la taille réelle des continents tout en gardant une forme familière du globe.
Un objectif partagé par l’Union africaine.
Sa vice-présidente, Selma Malika Haddadi, estime que « ce qui peut sembler n’être qu’une carte est en réalité un symbole puissant ». Pour elle, la campagne s’inscrit dans les objectifs de l’UA : « Replacer l’Afrique à sa juste place sur l’échiquier mondial, corriger des récits faux hérités de l’histoire coloniale et promouvoir une représentation plus équitable du continent. »
Vers un changement international ?

La bataille ne fait que commencer. Le collectif a demandé à l’ONU de reconnaître officiellement Equal Earth comme référence, tandis que la Banque mondiale a déjà commencé à délaisser le Mercator au profit de projections alternatives pour ses cartes statiques. Google Maps, de son côté, utilise depuis 2018 une vision en globe 3D sur ordinateur mais conserve le Mercator comme standard sur son application mobile.
Au-delà du continent africain, le combat est relayé ailleurs. Le vice-président de la Commission des réparations de la CARICOM (Communauté des Caraïbes), Dorbrene O’Marde, y voit une manière de rejeter « l’idéologie de pouvoir et de domination » que symbolise encore la projection de Mercator. Créée par les États caribéens, cette commission milite pour que les anciennes puissances coloniales reconnaissent et réparent les crimes liés à l’esclavage et à la colonisation.
Pour ses promotrices et promoteurs, « Correct The Map » est donc bien plus qu’une campagne cartographique. C’est une bataille culturelle et politique, qui vise à rééquilibrer la représentation d’un continent de 54 pays et plus d’un milliard d’habitants, trop longtemps minimisé sur le papier et dans les esprits.
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